Exemple de sensibilité aux conditions initiales
Etudions maintenant la dépendance aux conditions initiales d'un système à travers un exemple simple : l'évolution d'une population d'individus dans le temps. En modélisant cette évolution par une suite mathématique, nous allons voir comment une très faible modification dans les conditions initiales d'un système peut avoir des conséquences exponentielles sur les résultats terminaux.
1°) Evolution d'une population
Le modèle le plus simple pour caractériser cette évolution serait sans aucune contrainte alimentaire, morale ou territoriale, soit :
Population nouvelle = facteur de croissance x population ancienne.
Ainsi, si la population initiale est de 1000 et que le taux de croissance est de 10% par an, la population sera de 1100 l'année suivante. Mais ce modèle n'est pas réaliste, car il ne tient pas compte des dures réalités de l'existence (famines, guerres, maladies, épidémies, espérance de vie...) qui freinent la croissance de la population.
On incorpore donc dans le modèle un facteur de freinage :
Population nouvelle = facteur de croissance x population ancienne x (1 - population ancienne).
On va définir une suite (Un) qui définira la population en millions d'individus au bout de n années.
Pour calculer la population au bout d'un an on effectue l'opération 4aUo(1-Uo), où 4a est le facteur de croissance, a étant un certain nombre réel qui sera précisé par la suite. Le résultat est appelé U1 ; U1 = 4aUo(1-Uo). On effectue ensuite l'opération 4aU1(1-U1) pour obtenir la population a la 2ème année noté U2 et ainsi de suite. La population en millions d'individus au bout de n années vaudra Un. On fera donc les opérations suivantes :
U1 = 4aUo(1-Uo)
U2 = 4aU1(1-U1)
...
...
Un = 4aUn-1(1-Un-1)
Un+1 = 4aUn(1-Un)
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2°) Evolution de population très proches avec différents facteurs de croissance
Prenons un exemple :
Supposons que l'on parte avec une population Uo = 0,3 Millions d'individus et proposons-nous de calculer la population au bout de n=400 ans. On fera varier le paramètre a au cours du chapitre.
- Pour a=0.4 : On trouve au bout de 400 ans une population de : 37500 individus.
Supposons que l'on parte avec une population très peu différente de la notre, disons 0,3 M + 10 = 300000 + 10 = 300010 = 0,300001 M.
Partir d'une population aussi proche (de 10 individus) ne peut changer que de façon minuscule le résultat final. Le calcul nous fournit une population quasiment égale.
-
Pour a=0.91 : On trouve au bout de 400 ans une population de : 31759 individus.
Pour une population de départ très peu différente Uo = 0,300001 M on trouve : 65949 individus.
Que se passe-t-il si on prend un autre Uo légèrement différent, disons Uo = 0,299990 M ? On trouve : 39188 individus.
Pour 3 populations initiales très légèrement différentes, on trouve donc des résultats complètement différents.
On constate que malgré le fait que l'expression mathématique soit connue : Un+1 = 4aUn(1-Un) (il n'y a absolument pas de hasard dans cette formule), le résultat final est très sensible aux conditions initiales, on parle alors d'un système chaotique.
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3°) Etude de la suite Un
Un+1 = 4aUn(1-Un) avec a > 0
Soit f(x) = 4ax(1-x), Df = R et f est une fonction polynomiale donc dérivable sur R.
Un+1 = f(Un)
f'(x) = (4ax-4ax²)'= 8ax + 4a
8ax + 4a = 0 <-> x = 1/2
f(x)-x = 4ax² + 4ax-x = 4ax² + x(4a-1)
f(x)-x = 0 <-> x = 0 ou x = 1 -a/4
f est croissante sur ] 1; a] et décroissante sur [a; +1[.
La fonction x->f(x)-x est négative sur ] 1; 0] U [1-a/4; +oo[ et positive sur [0; 1-a/4].
Pour a=0.4 :
si 0 < Uo < 1/2
f(0) = 0; f(1/2) = a = 0,4; f(0) = 0;
f(a) = 4a² (1 a) = 4a²-4a^3 = 0,384
Pour tout n : 0 < Un < 1/2
[0; 1/2] est donc un intervalle contenant toutes les valeurs de la suite. Sur [0; 1/2], f est croissante. Donc Un est monotone.
U1 > Uo donc Un est croissante
f(x)-x = 0 <-> x = 3/8
(U n ) est borné et croissante donc (U n ) est convergente, 3/8 est le seul point fixe de l'intervalle [0; 1/2] donc Un converge vers 3/8.
Pour a=0.91 : On peut démontrer que la suite est comprise entre 0 et 1.
Mais sur cet intervalle la fonction f est croissante sur [0; 1/2] et décroissante sur [1/2; 1]. Sur cet intervalle la suite a un comportement imprévisible ou plus précisément chaotique.
Pour des conditions initiales très proches (Uo = 0,3 et Uo = 0,300001) les courbes se superposent jusqu'à n=30, et petit à petit, elles se dissocient pour donner des valeurs complètement différentes.
Pour n compris entre 350 et 400, les courbes sont totalement dissociées. Même si l'expression de la suite est connue, on a du mal à prévoir ses valeurs. La suite à un comportement imprévisible ou chaotique, et montre une forte dépendance aux conditions initiales.
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4°) Diagramme de bifurcation
On représente a en abscisse (a compris entre 0 et 0.99) et on porte en ordonnée, les valeurs obtenues par les termes de la suite (les valeurs d'équilibres de la suite), après un certain nombre d'itérations (ici 400). Pour chaque valeur de a, l'opération est recommencée un grand nombre de fois en choisissant à chaque fois une valeur aléatoire du premier terme Uo (comprise entre 0 et 1 millions). On obtient le diagramme de bifurcation de la suite :
Le diagramme de bifurcation permet de mieux visualiser l'évolution d'un système vers le chaos par doublement de période. Par exemple prenons un Y, puis ajoutons à chaque pointe supérieure un Y quatre fois plus petit, et ainsi de suite... on obtiendra une figure du même type que le diagramme. En étudiant les valeurs d'équilibre des systèmes dynamiques, on constate que :
- Tant que a est inférieur à 0.7, la valeur d'équilibre est presque inchangée.
- Pour a entre 0.7 et 0.75, un léger croisement de a entraîne une hausse de la valeur d'équilibre de la population.
- La première bifurcation a lieu à a = 0:75. Quand a est compris entre 0.75 et 0.85, deux valeurs d'équilibre sont alors observées.
- Au delà de a = 0:9 le système peut prendre une infinité de valeurs d'équilibre exhibant brusquement un comportement apparemment imprévisible, en réalité on parle de comportement chaotique.
- Aux environs de 0.95 apparaissent des fenêtres de stabilité sous formes de bandes blanches verticales : la population devient à nouveau prévisible. Ces périodes de stabilité en plein coeur d'une chaotique s'appellent des "intermittences".
Dans la zone où le phénomène a un comportement chaotique, en regardant de près (à la loupe !) on retrouve le même motif. La zone chaotique est fractale. Dans ce désordre apparaît un ordre absolu : la répétition infinie de la même fractale.
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5°) Programmation
Nous avons codé un programme permettant de réaliser ce tracé et de zoomer sur les bifurcations pour voir la dimension fractale du diagramme.
Le code source de ce programme est disponible
ici.